dimanche 7 juillet 2013

Le paradoxe des visions macroscopiques de l'Architecture d'Entreprise




Que l'on s'intéresse au patrimoine informatique d'une entreprise ou d'une organisation, aux processus, à l'organisation, ou tout simplement à la stratégie, il existe une règle générale : la représentation macroscopique de l'entreprise et de ses terrains de jeu est bien souvent absente. De sorte qu'on ne peut restituer que par du discours la situation existante, et les perspectives engagées, probables, voulues, projetées.

Cette lacune est un sujet d'étonnement sans fin !
On peut bien sûr ironiser, dans le style : "le jour où les grands projets auront des bases claires, les poules auront des dents !"
Fatalité ? Refuge dans la complexité qui justifie tous les errements ? Défense instinctive de l'existant, pour résister au changement qui pourrait rebattre les cartes ? Incapacité à s'abstraire du cadre parcellaire des raisonnements et professions, des silos institutionnels, des périmètres métiers ?
Sans doute un peu de toutes ces raisons expliquerait un aveuglement collectif, qui oscille entre une "attitude de l'autruche" et un "Donquichottisme" de bon aloi ?

Certes il existe des "big picture" affichées, ce sont des compromis fusionnant plus ou moins adroitement différentes cartographies : process, SI, applications, ressources, ... tracées pour faire plaisir à toutes les chapelles.
Parmi toutes les disciplines qui pourraient s'arrimer à une vision macroscopique, celle qui affiche le plus d'ambitions, voire de prétentions à représenter l'entreprise dans sa globalité, est l'Architecture d'Entreprise. Elle consacre beaucoup d'encre à communiquer sur les vertus d'une approche globale, permettant en particulier de situer l'existant ("as is"), une cible ("to be"), les déclencheurs ("triggers")... Le standard professionnel Togaf 9.1 déploie ses recommandations sur 690 pages, mais ne structure pas l'espace d'une vision macro. De même le framework de Zachman apporte une ingénierie pour construire les architectures, dans une approche de fragmentation analytique, que l'on ne peut retrouver dans une synthèse globale, qui ne peut être un tel puzzle.

La déception est à la mesure de l'ambition : si l'on exclut la gangue méthodologique, tout le discours sur les objectifs, la gouvernance, les prérequis, les différents types de modèles, le framework à appliquer ... que reste-t-il de véritable contenu synthétique propre au cas étudié, et restituant la fameuse Architecture avec un grand A ?

La finalité de la discipline, comme celles des approches processus, des détours stratégiques, est d'éviter de se jeter "tête baissée" dans l'action de courte vue ? Mais alors pourquoi un tel fatras méthodologique et si peu de contenu réel pour afficher, partager, engager une vision ?

Ce n'est pas faute de réflexion, par exemple les framework et autres meta-modèles fleurissent : outre ceux de Zachman, de Togaf déjà cités, le cube de Ceisar, Praxeme, les différents modèles de référence du FEAF... Ce ne sont que formules pour s'organiser, documenter, gouverner, tracer des plans. La carte du tendre, la "big picture", reste à définir.

Les cartes de haut niveau existent cependant, et prennent les formes les plus variées, souvent avec une complexité déroutante.

Une carte globale
Le sujet a été traité par le MIT, institution prestigieuse s'il en est, en particulier dans le document "Depicting a Vision of a Firm" du à Jeanne W. Ross, auteur de plusieurs ouvrages sur l'EA. La représentation du cas de Delta Air Lines est exemplaire :
Le cas Delta Air Lines
Cette image fait apparaître les 2 façades de la compagnie aérienne : la relation client et les activités opérationnelles. L'architecture IT y est très présente, focalisée sur quelques grandes bases de données, autour des quelles un ballet de personnages technologiques s'organise.
On retrouve, sous une autre forme, la structuration que j'avais proposée lors des travaux d'urbanisation des SI d'aéroports de Paris, et qui aboutissait au distinguo entre les univers "passager" et "avion".
Au delà de ce formalisme, le texte de Mme Ross apporte plusieurs constats :
  • il a fallu de l'ordre de 60 itérations pour que ce schéma soit partagé aux niveaux business et IT,
  • un tel schéma permet de discerner clairement ce qui relève de l'infrastructure IT collective, et ce qui relève des domaines particuliers,
  • il est précieux pour identifier les besoins de changement,
  • c'est une base de communication et de compréhension réciproque autour des enjeux business et IT.
Curieusement, l'autre cas présenté dans cet article utilise un formalisme totalement différent, bien qu'il se situe à un niveau d'abstraction similaire, faisant apparaître les événements et les activités associées.
Il y a là matière à réflexion : on pourrait accélérer la genèse de ces représentations, qui, au delà de l'infinie variété des situations, retracent les mêmes faits : des "biorythmes", à l'occasion d'événements, qui initient les multiples transformations que réalise l'entreprise...

Ce sujet est majeur, puisqu'il porte sur l'élément d'architecture le plus crucial : la carte de haut niveau, la "big picture", est la pierre angulaire qui réunit toutes les clés de voûte, celles des multiples architectures qui se combinent dans l'entreprise : IT, Process, architecture métier, organisation,...


Peut-être un jour la syntaxe de ces cartes de haut niveau sera-t-elle partagée, déclinée, enseignée... C'est mon credo. On aurait ainsi un fond de repère pour la navigation stratégique et le positionnement de tous types de projets. Pour une argumentation plus développée voir l'article: Les visions dynamiques de l'architecture d'entreprise . J'ai proposé des bases pour une telle syntaxe (voir ici Value Chain Canvas Model VCCM), avec des illustrations de différents cas, une argumentation sur la puissance de l'approche "chaîne de valeur" à la quelle le présent site est dédié.

De multiples messages du présent site sont directement issus de l'usage de ce type de vision, du niveau de synthèse, de stabilité et de distanciation procuré.