dimanche 26 novembre 2017

Le rebond de l'Architecture d'Entreprise

Un concept qui vient de loin


Le concept d'Architecture d'Entreprise provient des premiers ages de l'informatique, où l'empilement des systèmes a commencé à poser problème.
Quelques décennies, mais, au train où vont les choses, c'est une éternité dans la courte histoire de l'informatique.
Par analogie avec les constructions matérielles (construction navale dans le cas de Zachmann...) où la maîtrise de projets complexe est aussi une nécessité, les "Framework" ont poussé comme champignon après la pluie.
Ils ont tous eu des points communs : 
  • analyser le système par couches, par exemple pour l'axe Business-technologie
  • se focaliser sur la nécessité d'une cible, comme aboutissement de la transformation de l'existant.
Le schéma ci-dessous est une représentation caractéristique de cet état d'esprit, et du cadre dans lequel voulait se développer ce concept d'Architecture d'Entreprise.



  • En somme un guide pour un double passage : comment satisfaire, voire générer, le business par un socle technologique,
  • comment atteindre la cible qui marque l'aboutissement et le succès d'un épisode de transition.

Cette logique s'est imposée dans tous les pays et dans beaucoup de grands comptes, diffusée par des prescripteurs, les enseignements, les opérateurs globaux.

Elle est encore largement dominante au niveau académique et de la profession d'Architecte d'Entreprise, ne serait-ce que par les certifications qui la perpétuent, et sécurisent les employeurs.

L'accélération tout azimuts bouscule l'EA


Une banalité est de dire que toutes les transformations se sont accélérées, tant au niveau du Business, qu'au niveau technologique. Malgré cette litanie, l'Architecture d'Entreprise continue à s'imposer. Sans doute pour de bonnes et de mauvaises raisons !

Pour de mauvaises raisons, car penser que les vérités du passé s'appliqueront toujours et doivent guider le métier et les méthodes de l'Architecte d'Entreprise est fatalement illusoire... On voit clairement que la tenaille, l'éteinte, formalisée par l'EA sur le schéma ci-dessus, ne peut plus fonctionner avec les cycles de transformation actuels : l'inertie du "système" EA reste la-même, avec tous ses pre-requis, ses cartographies, de sorte que son échelle de temps ne peut se raccourcir : son process est manuel et organisationnel, gouverné, donc tributaire des pesanteurs des organisations, et du caractère artisanal de la profession.

Adapter la méthode de l'EA



Bien sûr, le poids des acquis pourrait inciter, en préservant le capital méthodologique, à adapter la "méthode", quelle que soit la variante qui est référencée dans chaque entreprise.

La Méthode, partant du principe d'amélioration continue, préconisait une "Roue de Deming" repensée pour l'Architecture d'Entreprise, avec une série de phases séquentielles incontournables.
L'adaptation fait apparaître des allers-retours entre phases, multipliant les cycles.
Voir par exemple l'adaptation de la fameuse boucle de l'ADM de Togaf.
ADM de Togaf

Est-ce suffisant ? 



L'écart de temporalité entre l'EA et les projets, sensés lui être fidèlement assujettis, ne peut que croître. L'EA se discrédite, et perd alors son utilité par inefficacité pratique.

Nous avons ici, à plusieurs reprises, sonné l'alarme sur ce sujet, et le point semble maintenant s'approcher du consensus.


Le refuge dans "l'Agile"



D'ailleurs, la généralisation des projets "agiles" contribue à ce discrédit. On peut en effet laisser croire, somme toute assez naïvement, que du désordre des projets, jaillira naturellement un ordre merveilleux. On retrouve cette croyance en une "main invisible", dans le manifeste agile qui avance cette pétition de principe :

"The best architectures, requirements, and designs emerge from self-organizing teams."
Résultats du rapport Chaos du Standish Group pour 2015


La démarche agile améliore les chances de succes des projets, c'est indéniable. Voir à ce sujet les résultats du rapport Chaos du Standish Group. L'amélioration est-elle dûe à une meilleure "architecture" ? Les chiffres disponibles ne parlent pas. L'agile est une bonne pratique, mais elle ne saurait garantir une architecture, qui dépend en bonne part des efforts de conception réalisés avant le lancement des projets.



 De toutes façons, le pourcentage de projets en échec reste important. Quoiqu'on fasse, le parcours d'un projet est l'exploration d'un labyrinthe, ou la part d'imprévisible est, en quelque sorte "mathématique" : c'est, dit savamment, un "processus stochastique", avec, à chaque porte du labyrinthe, un tirage selon une loi de probabilité. Plus le projet est important plus il y a de portes à franchir, et donc de tirages, et la probabilité de réussite, qui est une probabilité composée, tend vers 0. Car un projet est parsemé de voie sans retour, de déconvenues et détours imprévus (voir à ce sujet l'effet bollos dans le post sur l'évolution darwinienne des SI).

Bref, le déterminisme des projets est en bonne partie illusoire. Le déterminisme d'un EA "Requirement Centric", tel que présenté par ADM, est trompeur car il ne restitue pas cette mouvance.

Cependant, dans ce contexte parsemé d'inconnus, et de fausses certitudes, il y a de bonnes raisons de croire encore dans la nécessité, et en les vertues d'une Architecture d'Entreprise revisitée.

Là où l'EA peut reprendre pied


Traditionnellement l'Architecture d'Entreprise trouve sa justification dans 3 fondements :

  • Transversalité : la prise de recul par rapport aux visions fragmentaires, celles des fameux silos que l'on retrouve dans toute organisation, est indispensable pour la cohérence, la synergie, la subsidiarité que l'EA peut préconiser. La position transverse nourrit l'apport de valeur de l'EA.
  • Technologie : l'EA tire de la quintessence de l'offre technologique, et de son évolution, les propositions pertinentes tant au niveau business que sur les couches fonctionnelles, applicatives, techniques, ainsi que pour la composition des systèmes d'information.
  • Vison à Terme : par delà la précipitation des différents métiers, avides de voir leurs "besoins" satisfaits, l'EA apporte une perspective indispensables pour assembler ces initiatives et les faire converger.
Ces fondements sont durables, même dans un contexte plus agile et plus frénétique. Ils en sont d'ailleurs renforcés. Et les enjeux auxquels l'EA contribue changent de nature, se portant au delà du SI, dans les chaînes de valeur elles-même.

Ces fondements ne suffisent plus. Heureusement l'EA peut reprendre pied : La technologie, par l'émergence du "Data Centric" et de ses fidèles bibliothèques de Data Integration, d'API management, de Master Data Management, ouvre un nouveau levier pour l'EA : l'action de court terme.

L'EA peut ainsi se reconnecter au monde actuel, retrouver une crédibilité indispensable, et prouver concrètement son apport de valeur.

L'action de court terme change tout


L'Architecte d'Entreprise était un grand ingénieur de cible, et producteur de cartographies. L'action de court terme lui permet de devenir le praticien des Architectures Data Centric. Ces Architectures désimbriquent les composants et préparent un SI recomposable facilement, adaptable aux aléas du Business comme aux ruptures technologiques.

Avec l'Architecture Flexible, nous avons posé les principes de telles architectures, et proposé d'articuler le SI sur les invariants.
Par delà la méthode, il s'agit pour l'EA d'un changement de posture aux multiples conséquences.

Le rebond stratégique de l'EA : changement de posture


Même si l'EA demeure fondée sur ses 3 raisons d'être traditionnelles, la posture comme acteur du court terme, et du changement, est prééminente : plus visible, plus concrète, plus présente le long du cycle de vie des projets.

Dès lors, l'idole de la cible passe au second plan. Le mouvement prime sur la théorie des exigences. Et surtout le cœur de métier de l'Architecte devient la constante recherche de flexibilité.


  • La Flexibilité à introduire au gré des opportunités,
  • La Flexibilité à démontrer à chaque instant dans les scénarios les plus improbables,
  • La Flexibilité à maintenir contre vents et marées.

Enfin, l'Architecte d'Entreprise abandonne ses rivages méthodologiques et entre dans un nouveau paradigme, où il défend la transformation de l'Entreprise par le levier du Data Centric, au fil de l'eau des projets.

Le SI reste vu comme un système, mais non plus dans une systémique déterministe et utopique, dont on connait les écueils et les échecs, mais dans une systémique active.

Cet EA à vision systémique, darwinienne, met en place progressivement les catalyseurs de transformation du SI. Le métier de l'EA est celui d'un concepteur et praticien de ces catalyses (puits d'événements, référentiels pivots) introduites à des points clés du patrimoine SI. Au sien d'un SI qui mute alors naturellement, sans cible impérative, par tâche d'huile, et décisions décentralisées.