mardi 25 février 2020

Analyse "systémique" d'un régime universel de retraite


Dans notre civilisation de plus en plus globale, de plus en plus complexe, de plus en plus numérisée, la compréhension des enjeux, des évolutions, des perversions, nous échappe bien souvent.

En effet, nous croyons ce que nous avons observé et appris.

Malheureusement le monde évolue plus vite et nos croyances peuvent être de mauvais conseil :

  • Trop locales, parfois même affectivement passéistes
  • Fondées sur une connaissance technologique désuète
  • Centrées sur une pression de satisfaction immédiate, un égoïsme exacerbé
En somme, alors que les enjeux globaux s'accumulent au fil de notre aveuglement collectif, nous sommes des spécialistes des raffinements réglementaires, des replis sur soi, et de la non-décision.

On peut en voir de nombreux exemples,
  • Le réchauffement climatique (la multiplication des centrales au charbon, en alternative au nucléaire),
  • La réforme des retraites (la solidarité avec les générations futures, justifie-t-elle de figer le système actuel, et de ne pas l'adapter aux formes d'emploi actuelles et à l'accroissement de la durée de vie...),
  • L'emballement démographique qui provoquera une déstabilisation globale inévitable.

A chaque fois, c'est "la même histoire" :
  • pas de diagnostic global partagé, au niveau de compréhension qui donnerait du sens,
  • pas de vision objective, à l'échelle temporelle adaptée,
  • pas de conscience de la complexité et des interactions, dans la logique des transformations en cours.
Bien sûr nous avons à notre disposition toutes les sciences, toutes les technologies, et nous pourrions comprendre et expliquer des pans entiers du processus enclenché. Encore faut-il activer ces savoirs à bon escient, et sortir des débats stériles dont nous sommes spécialistes.

Nous sommes incapables de nous accorder sur l'explication, justement par nos travers d'étroitesse de vue, notre incapacité à anticiper, à nous projeter, à nous accorder, et à quitter nos égoïsmes superficiels.

Les solutions ne sont pas identifiées, reconnues, partagées. Et encore moins les chemins pour mettre en œuvre de telles solutions. Dès lors, collectivement, nous faisons "n'importe quoi"... Un peu comme un programmeur qui écrirait un programme sans avoir de vision sur les fonctions à automatiser, et sur la migration pour la mettre en place !

En ce sens, l'Architecture d'Entreprise (EA) est une expérience utile, car elle pose un défi de maîtrise de la complexité. Et le présent site, si l'on en extrait la quintessence, ne traite que de cela.

L'Architecture d'Entreprise permet de tester, à une échelle déjà bien souvent colossale, des solutions à des problématiques complexes, techniques, sociales, culturelles...

Pour notre civilisation, confrontée par ailleurs à des sujets encore plus inextricables et globaux, comme indiqués ci-dessus, voilà bien un terrain d'expérience exemplaire, et à disposition.

Certes, dans le domiane de l'EA, il nous faut avouer bien des lacunes, par exemple la maîtrise des grands projets, dont la plupart sont voués à l'échec, progresse lentement. L'arsenal méthodologique traditionnel de l'EA, bien souvent critiqué ici, est clairement inadapté et déconnecté des réalités actuelles.

Une vision systémique

L'Architecture d'Entreprise veut décrire des systèmes complexes. Elle prétend dépasser les visions technologiques et modéliser l'entreprise, au-delà de la stricte structuration des systèmes d'information. Elle devrait donc pouvoir expliquer les évolutions des systèmes d'information, mais aussi de nos sociétés, de notre environnement, de nos civilisations, qui sont celles d'ensembles complexes. Avec le gigantisme de tels ensembles, les descriptions et explications détaillées sont illusoires. Seules des visions locales, des explications de sous-ensembles sont possibles, mais elles n'ont pas de sens global et leur agrégation ne fonctionne pas.

De même les avancées en continuité, ou les petits changements par tâtonnement, rassurants, plaisants et naïfs, ne font que précipiter les futures catastrophes : faute d'anticipation et de maîtrise, ils créent l'irréversible, les multiples effets sans retour trop souvent constatés ici : promesses imprudentes, dettes techniques, choix malencontreux qui s'avèrent bloquants, facilités illusoires...

Car, dans les nombreux exemples que nous vivons, chacun comprend bien qu'il y a problème. Souvent on se persuade de solutions "faciles", qui s'attaquent à une partie du système... mais on doute vite de leur efficacité. En effet le dysfonctionnement est global, et ces tentatives partielles sont vouées à l'échec. Tout au plus une solution simpliste peut-elle s'imposer par aveuglement collectif ou raisonnement primaire. Une analyse plus poussée, prenant en compte l'ensemble des dimensions du sujet, est rarement aboutie, et, en toute hypothèse, n'est pas consensuelle.

Cependant, il ne faut pas désespérer, levons un peu le nez du guidon.

Notre époque ne manque pas de défis motivants. Pour le réchauffement climatique, l'équilibre des retraites, l'emballement démographique, à chaque fois la problématique majeure est "systémique".

Voilà bien un sujet connu des Architectes d'Entreprise... Ils ont pu constater la vanité des solutions partielles, les illusions des grandes planifications utopiques, qui présupposent une connaissance parfaite du futur et ignorent les aléas. Finalement ils sont confrontés à une complexité ingérable par une ingénierie classique, toujours fondée sur des a priori déterministes, et ignorant les lois de fonctionnement des systèmes.

Pourtant de telles lois sont génériques et depuis plusieurs années proposées par la Trame Business (au travers de nombreuses illustrations, par exemple sur le présent site).

Certes la problématique de l'Architecture d'Entreprise est confidentielle. Elle semble bien spécifique. Historiquement elle découle de l'empilement des projets, aux imprévisions, aux aleas et aux changements de cap. Pourtant, dans la vraie vie, il en va de même, l'assemblage des différentes facettes d'un sujet, qu'il soit écologique, démographique, économique, est rarement objectivé, et les visions partielles, voire partiales, dirigent l'opinion, la réflexion, et l'action individuelle comme publique.

En somme, une approche globale et multi-faces, une approche "systémique" serait en premier lieu un moyen pour comprendre le système, dans sa composition et ses interactions. Ceci acquis, il serait possible de contrôler son évolution, et peut-être sa maîtrise, s'il est encore temps et si des leviers existent.

La conscience des invariants

Dans tous les systèmes complexes que l'on peut observer, il est frappant de constater que plusieurs échelles temporelles existent. Des rythmes très courts, par exemple pour produire, consommer, et des rythmes plus lents, qui créent les structures, les usines, les concepts,.... Et quelques invariants, ou cycles de longue échéance, quasi immuables dans un écosystème. On en a vaguement conscience de cette multitude de rythmes, et de leurs interactions typiques à un écosystème. On en connait les lois, par exemple économique au niveau des échanges de produits et de services, dans un écosystème d'agents économiques, ou biologiques dans un écosystème de vies, voire sociales, morales, dans une civilisation...

Chaque assemblage de telles lois suit des règles fixes, qui combinent les différents événements cycliques et les transformations induites : c'est la mécanique "systémique" proposée par la Trame Business.

Le mystère est que le modèle s'applique à n'importe quel écosystème.

Le modèle est fondé sur la connaissance de ces cycles et de leur invariance (chaque cycle se reproduit à l'infini selon le même schéma) et leurs interactions. Le modèle objective une structure architecturale stable, typique de l'écosystème. Et que l'on retrouve toujours car dans toute vie, dans toute transformation, il y a des événements.

Le mystère est que le modèle des modèles, le "meta-modèle" est lui-même stable et invariant.

Illustration avec l'épineux cas des régimes de retraite


Un régime de retraite est constitué par un ensemble de règles complexes. La refonte d'un tel système est encore plus complexe puisqu'elle confronte la complexité de l'ancien système à celle du nouveau système, dans une combinatoire infernale.

Pourtant, à la base, c'est simple : l'utilisateur parcourt un cycle avec plusieurs temps, des temps d'activité où il "ouvre des droits", et des temps de retraite où il consomme ses droits. Ce parcours est conditionné par la vie individuelle et professionnelle : éducation, formation professionnelle, emplois, maladies, inactivité, ...

L'univers de l'ouverture des droits

La chaîne de valeur de transformation en droits est appelée, au sens de la Trame Business, "univers des droits"

Dans le temps de l'ouverture de droits, les 2 parcours (vie professionnelle et ouverture de droits) sont fondamentaux et liés par une chaîne de valeur qui transforme les périodes, et événements de la vie professionnelle, en droits.

Pour réaliser cette transformation on peut appliquer de nombreuses règles :

  • dans l'ancien système, on comptabilise des trimestres d'activité
  • dans le nouveau système on comptabilise des points d'activité, ce qui est un changement de la maille de comptabilité
  • l'événement dit de "droit à la retraite" peut être conditionné par divers critères (âge, durée d'activité, ...), il peut être impératif (retraite déférée ou avancée pénalisée comme dans l'ancien système) ou au choix du futur retraité (avec éventuellement un bonus-malus).
Toutes ces variantes et subtilités caractérisent la chaîne de valeur de transformation en droits.

Bien sûr, on peut cloisonner les divers individus en réalisant cette transformation dans des "régimes" spécifiques à des statuts professionnels rigides, par corporation (avec des règles plus ou moins spécifiques), ou fusionner les régimes avec une règle unique. L'introduction de critères d'activité (maternité, chômage, pénibilité) complique l'algorithme de transformation, mais ne change en rien le principe du système.

Bien sûr, si l'on changait les régles de calcul, en conservant une multiplicité de régimes, cela n'aurait guère de sens. Dailleurs certains régimes fonctionnent déjà avec des périodes fines, comptabilisées en points. Un système universel, décloisonnant les corporations, implique donc des règles universelles, sans doute aménagées, mais sur des critères objectifs liés au parcours professionnel (pénibilité,...) ou aux événements de la vie (maternité, accident, chômage, ...) et non plus aux corporations historiques.

Ici on fait abstraction des avantages ou inconvénients dont dispose tel ou tel régime du fait de ses acquis (départ à la retraite avancé par exemple) ou de sa démographie (rapport retraité/actifs favorable ou défavorable)... Cette question va intervenir dans une autre transformation qui doit, ou non, réaliser un équilibre global. Nous verrons que la nécessité d'un tel équilibre est induite par le principe dit de la répartition.


La consommation des droits

Une fois les droits "ouverts", il faut bien un jour, lors de la "liquidation" de la retraite, les transformer en droits réels, permettant d'assurer la retraite. C'est le sujet le plus épineux sur lequel il y a les plus fortes divergences, nous l'examinerons en dernier.

On suppose donc que, à la suite d'une liquidation, il y a eu retraite et donc consommation des droits.

Le retraité a ainsi un parcours de retraite qui peut être émaillé d'événements... Par exemple cumul emploi-retraite (fortement découragé dans l'ancien système, interdit ou pénalisé), activité partielle, bénévolat, retraite progressive, réversion...). La coexistence entre cet univers et celui de l'ouverture de droits est aussi envisageable, faisant sauter des verrous incompréhensibles (cotisation obligatoire mais perdues...).
  
Le transport des droits

Nous utilisons volontairement ce terme de "transport" des droits, pour bien montrer qu'il s'agit de préserver ces droits acquis lors de la vie professionnelle, sans les modifier, et de les rendre en droits utilisables pour la retraite.

Il s'agit d'un transport dans le temps, pour plusieurs décennies.

Plusieurs méthodes sont pratiquées pour assurer ce transport :

  • La capitalisation est une opération financière qui organise le placement à long terme des droits acquis, convertis en monnaie, sous forme de capital disponible lors de la retraite. Le capital permet lors de la retraite de servir une rente, calculée d'une part sur le rendement du capital et d'autre part sur la durée de vie. La capitalisation comprend un risque, lié aux investissements sur les marchés, ce qui est un des métiers des assureurs. Ce principe est mal vu par les politiques "de gauche" car le terme "capital" est synonyme d'injustice sociale, et de recherche de profit. Pourtant des caisses de retraite ont recours à la capitalisation, dans une déontologie respectant un modèle social. Le principal inconvénient de la capitalisation est l'énorme inertie du système : il faut de nombreuses années d'investissement pour constituer le capital. Lors de la création des régimes de retraite, après-guerre, il a bien fallu servir les retraites pour les nouveaux retraités, qui n'avaient pas cotisé. Il eut fallu engager une énorme dette pour créer un tel régime.
  • La répartition créée, pour les futurs retraités, un droit de tirage sur la masse des cotisations des actifs, valable au moment de la retraite. A l'opposé de la capitalisation elle permet de servir une retraite sans le détour de la capitalisation. Mais elle crée aussi de fait une dette qui, au cours du temps peut par effet cumulatif, s'accroître ou se réduire. Ainsi la répartition pose l'épineux problème de l'équilibre du systéme, alors que la capitalisation est, par construction, équilibrée, et s'adapte automatiquement à l'age de départ à la retraite, qu'il soit voulu ou contraint.
Dans ce dernier cas de la répartition, on ne peut aveuglément convertir les droits de tirage en pension, avec un calcul de rendement comme on le ferait en capitalisation, car plusieurs facteurs peuvent déséquilibrer le système. On connait les leviers classiques : décaler l’âge de départ à la retraite, réduire les pensions, augmenter les cotisations, accroître la contribution budgétaire... mais il faut déjà comprendre les facteurs de déséquilibre, les mesurer, faire des simulations sur échantillons. Justement, c'est assez compliqué la simplicité de la répartition est un trompeuse.

Les déséquilibres du système de répartition

Si le système de répartition était à un équilibre fixe, ce serait bien commode : on connaîtrait la valeur du droit de tirage (trimestre de cotisation, point horaire). Malheureusement un système de répartition est par nature en équilibre instable, ce qui implique des ajustements.

En effet son équilibre est complexe car il met en balance les ressources que sont les cotisations, et les dépenses de retraite.

Equilibre des cotisations

Il peut y avoir de mauvaises ou de bonnes années pour le recueil des cotisations, par exemple du fait de l'activité économique. Ces fluctuations se traduiront par des droits acquis réduits ou accrus, à l'échéance des retraites, mais elles affectent directement l'équilibre annuel de la répartition. Il faut donc avoir des mécanismes de réserve financière pour faire face à ces aléas annuels et réduire les divergences annuelles.

Par ailleurs, si on veut en moyenne assurer une retraite équivalente, il faut disposer d’une  masse financière qui permette le service des retraites, dans un contexte où la durée de vie s’allonge : il serait souhaitable que les taux de cotisations soient les mêmes entre les anciens régimes et le régime universel. Or ce n'est pas le cas pour 2 raisons :
  • des différences entre les régimes eux-mêmes, qui ont leurs sources dans les particularités instituées,
  • des différences de taux entre le régime "général" actuel et le régime universel, sont prévues (voir publication des Echos) pour une part importante de la population (près de 13 % dont le revenu est compris entre 1 et 3 fois le plafond annuel de la sécurité sociale 'PASS), le taux passe de 26,9 % à 28,1 %, et au delà (entre 3 et 8 PASS) il n'y a plus de cotisation (l'ancien taux de 26,9 % est remplacé par une contribution de 2,8 % qui ne donne aucun droit... donc un impôt déguisé). Ceci supprime une partie du financement pour les cadres retraités ayant cotisé dans cette tranche : il n’y aura plus d’actifs cotisant pour eux. En somme la répartition sera en panne : certains peuvent à juste titre être inquiets pour le "transport" de leurs droits, alors qu'ils ont cotisé à un niveau élevé ! Cotisations perdues,mais aussi cotisations augmentées pour des régimes spécifiques (indépendants, intermittants,...).

Le souci d'équilibre par rapport aux populations est pourtant fondateur d'un régime universel par répartition. La principale comparaison se porte, dans la documentation sur la réforme, principalement sur le régime général qui concerne les actuels salariés du secteur privé, et le secteur public. Les autres agents économiques, dont certains moins protégés (dont les agriculteurs;...) sont hors du champ de ces cas-type, listés ci-dessous :

Cas-type au salaire moyen (SMPT)
Cas-type au SMIC
Cas type du non-cadre à carrière continue
Cas-type d’une carrière heurtée
Cas-type d’une femme durablement à temps partiel
Cas type fonctionnaire – attaché d’administration
Cas type d’un secrétaire administratif
Cas type – adjoint administratif

A noter que ces cas-types ne concernent que la génération 1980.

A l’évidence, un panel de cas types représentatif serait bien venu, pour illustrer et informer. Il serait aussi utile comme référent, pour étudier l’impact de la réforme, simuler les modifications, mieux anticiper. Un problème de système d'information simple pour les bureaux d'étude, les chercheurs, les services statistiques...

Ceci dit, même si les cotisations demeurent au même niveau, il y a beaucoup de difficultés à comprendre comment se créé l’équilibre nécessaire à la répartition.

Equilibre au sein d'une génération (intra-générationnel)

L'équilibre au sein de chaque génération peut être mis à mal : la durée de vie s'accroit d'une génération à l'autre, le début d'activité se fait de plus en plus tardif, la structure des emplois se déforme, ...
On pourrait imaginer de rechercher un équilibre entre la masse des droits acquis et une estimation des pensions à servir et cela pour une génération. En effet, pour une génération, un certain nombre de paramètres sont typiques : durée de vie, âge de début d'activité, métiers, accidentologie, ...
D'ailleurs on ne comprendrait pas pourquoi une génération devrait cotiser plus qu'une autre...
Le premier niveau de solidarité devrait être intra-générationnel. Mais ceci est n'est pas acquis, car la solidarité s'est développée au sein des corporations, constituées par profession. Or les métiers qui disposent d'un avantage démographique (par exemple un métier émergent a beaucoup d'actifs cotisants et peu de retraités) refusent cette solidarité, alors que les métiers en perte d'effectif veulent figer le système pour faire appel au maximum à la solidarité au-delà de la génération voire à la solidarité globale (recours aux provisions des régimes, augmentation des cotisations, des impôts).

Malgré tout, un système universel aurait le mérite de permettre cette solidarité intra-générationnelle, avec bien sûr les aménagements objectifs (pénibilité, métier à risque...) ou des compensations sociales (voir ci-après). L'idée de l’âge d’équilibre, ou d’âge pivot pourrait correspondre à cette recherche d'équilibre, mais le sujet est noyé par un autre déséquilibre.

Déséquilibre entre les générations (intergénérationnel)

Il n'y a pas d'équilibre entre les générations : les effectifs des générations sont variables, et la pyramide des âges les retrace ... certaines générations ont plus d'effectifs, d'autres moins. Ce déséquilibre intergénérationnel s'ajoute aux autres déséquilibres : certaines générations, en bonne position dans la pyramide disposent, pour la retraite, d'une forte population d'actifs. C’est un effet d'aubaine, dont d'autres générations ne disposeront pas. Par construction, le système par répartition crée un déséquilibre intergénérationnel.

Le rééquilibrage devrait logiquement se faire par un mécanisme de compensation "neutre" (n'impactant pas les droits) par une caisse dédiée à la gestion de cette dette intergénérationnelle (comme pour la régulation d'un marché).
Une telle caisse (FSVu) est prévue dans le régime universel, mais ne semble pas être dédiée à ce seul objectif "un fonds de réserve, constitué à partir des réserves actuelles et des éventuels excédents futurs, offrira une assurance supplémentaire aux générations futures qu’elles aussi pourront bénéficier de retraites satisfaisantes". Le risque est fort que ces fonds soient utilisés par opportunisme, privilégiant de fait des générations ou des corporations.

Impact des compensations sociales

Des compensations sociales de solidarité : selon le rapport Delevoye "Aujourd’hui, environ un quart des dépenses du système relève d’une logique de solidarité : Droits à départ anticipé, droits familiaux et conjugaux, accès à des minima de pension, prise en compte d’interruptions d’activité". Ces compensations s'appliquent sur toutes les générations au moment de la liquidation, et contribuent aux transferts sociaux au sein de la collectivité nationale.

Impact des conditions de la liquidation

Les conditions de liquidation sont multiples :

·         Conditions pour pouvoir demander la retraite
·         Conditions pour le taux plein,
·         Règles de prorata,
·         Bonus-malus
·         Règles de calcul des droits
·         Règles de calcul

Regardons par exemple les règles de calcul lors de la liquidation. Dans l'ancien système, la retraite est calculée à partir de trimestres d'activité et des 25 meilleures années, donc sur une partie de la carrière. Dans le futur système la retraite se calcule sur toute la carrière et sur la base plus fine des heures d'activité. L'idée s'est répandue que le nouveau mode de calcul était systématiquement défavorable. Cependant, si l'on compare les 2 modèles de calcul, et sans modifier les autres paramètres (âge de départ, compensations, cotisations, etc...), la question est de savoir, pour une même masse à répartir, quels sont les gagnants et les perdants... La réponse est simple : cela dépend bien sûr du profil de carrière. Celui qui a eu de très bonnes 25 années, et un reste de carrière peu rémunérateur, sera avantagé par l'ancien système. A contrario, celui qui aura eu une carrière longue, régulière et continue sera avantagé par le nouveau calcul. Il y a d'autres cas particuliers, par exemple les fonctionnaires avaient dans l'ancien système, une retraite calculée sur le dernier salaire... avec une carrière où le salaire s'accroît avec l'ancienneté. On voit ici que, partant du principe d'un respect d'équilibre (même masse à répartir), on peut multiplier les variantes de calcul. La multiplicité des régimes a introduit des disparités difficiles à justifier.  Le propos n'est pas ici de préconiser tel ou tel réglage, d'arbitrer entre plusieurs "justices", car chacun trouve qu'il est lésé et que les autres sont mieux lotis. Le sujet est de segmenter le problème global posé, et de le diviser en plusieurs problèmes, afin d'éviter de tout combiner, tout agréger en un seul propos où tous les thèmes se percutent.

Dans les comparaisons des cas-type présentées dans le rapport Delevoye, il y a l'impact de ce mécanisme de liquidation, mais qui se combine avec les autres mesures de la réforme (mesures d'âge, bonus-malus, ...).

Autres interactions globales

D'autres interactions globales affectent l'équilibre du système. La masse des cotisations et des retraites versées n'est pas neutre au plan économique :
  • les cotisations chargent les emplois et accroissent le coût du travail en France, ce qui le rend moins compétitif, ou, pour les emplois non marchands, alourdit les impôts et autres charges collectives. De sorte que les cotisations réduisent aussi mécaniquement la base taxable...
  • les retraites versées sont pour une bonne part consommées, ce qui soutient l'économie. D'une certaine manière, leur accroissement est assimilable à l'accroissement d'une dette, et donc un risque à plus long terme. En ce sens l'égoïsme des générations qui préconisent, à leur profit, un déséquilibre de ce type, se reporte sur les générations futures. C'est l'inverse d'une solidarité intergénérationnelle.
  • Enfin la rigidité d'un système, mettant tous les actifs à la retraite par mesure d'âge, est contre-productive au plan économique : une part de la population pourrait volontairement prolonger son activité et contribuer ainsi à la production nationale, alors qu'une autre part pourrait par exemple s'engager à temps partiel dans des activités solidaires.

Condamnés à la complexité ?

Après ce rapide tour de piste sur la réforme des retraites, on est perplexe...
Sommes-nous condamnés à la complexité ? Pouvait-on faire plus simple ?

Il est clair que la complexité vient de loin, l'état des lieux est à l'image d'une vieille cité historique avec ses quartiers, et incohérences.

La réforme a voulu à la fois rationaliser cet ensemble historique figé, et ménager les situations existantes, en proposant des transitions acceptables. Un compromis difficile.

D'où cette hyper-complexité qui rend la réforme illisible. Sans doute une autre réforme le serait tout autant. On cite souvent l"esprit" fondateur de la répartition, comme fil directeur. Mais il induit une complexité congénitale. Le mieux est l'ennemi du bien, probablement le raffinement de la réforme, pour respecter ce principe, explique-t-il au final son incompréhension, et son impopularité.

Si on accepte de jeter un œil "apolitique" sur le sujet, avec une approche systémique, on peut regretter cette vision actuelle touffue et fouillée, où tous les sujets se percutent, les déséquilibres s'ajoutent aux déséquilibres, les masses financières se mixent,...

La réforme se heurte une complexité qui sera durable. D'aucuns n'auront de cesse de détricoter ce qui a été fait, et le tout n'en sera que plus complexe et illisible. Bien sûr cela se fera par clientélisme, avec un affichage de justice. Attention chacun a, en la matière, sa propre définition de la justice.

Cependant, si l’on prend du champ, plusieurs décennies, le coût de la réforme, avec ses grèves, les frais de reconversion, les coûts informatiques, s’amortira et l’effort de convergence aura du sens.  A condition que la solution mise en place soit bien charpentée et évolutive.

Quelle stratégie de mise en œuvre ?

On sait  bien que le plus compliqué dans une telle mise en place est de gérer la longue migration entre les anciens systèmes et le nouveau.

Faut-il une stratégie de rupture ou, au contraire, une migration progressive, en douceur ? En l’espèce, il a de tels écarts entre les règles de liquidation, par exemple pour la fonction publique… impossible de procéder brutalement sans étudier les différents scénarios. Par exemple, en ayant pour le régime transitoire des fonctionnaires, une règle temporaire où le point de retraite serait calculé sur le « point d’indice ». L’intégration des primes dans la base des cotisations est un autre scénario, dont l’effet ne peut être que très lent.

En toute hypothèse, il est préférable, avec une telle complexité, de ne pas enfermer l’organisation, et le futur système technique qui permettra d’opérer la répartition, dans un carcan. Il est impossible de tout anticiper et le futur doit être adaptable. Il faut donc le concevoir comme tel. Par exemple pour gérer la migration on peut soit :
 ·        Engager l’adaptation des systèmes actuels pour permettre la convergence, ce qui peut avoir un coût multiple, parfois mal prévisible, et s’interfacer avec le régime unique,
 ·        Concevoir un le futur système comme adaptable, et, en quelque sorte « multi-régimes ». Ce qui est essentiellement une question de bonne qualité de la conception, pour dégager le modèle générique qui fonde les différents régimes. Le régime universel a ses propres règles, facilement transposables dans un moteur de règles, son niveau de maille pour le suivi des activités, facilement paramétrable (heures versus de trimestres…). Le coût d’un système générique est quasiment identique au coût d’un système figé. L’investissement clé est en amont, dans sa conception.

Ceci dépasse largement le système technique support de la réforme. L’enjeu se situe aussi dans l’organisation cible. Espérons que, dans les prochaines étapes, la construction sera "modulaire", avec des opérateurs aux objectifs clairs, des fonctions de service bien périmètrées, et une comptabilité cohérente, analytique, ne mélangeant pas toutes les sujets.

Du point de vue systémique, la surconcentration sur quelques opérateurs publics (CNAVU, ACOSS, FSVu), même si la gouvernance en est collégiale, ne garantit pas le succès, bien au contraire. L'expérience prouve que les grands monopoles administratifs ont assez systématiquement échoué dans leurs grands projets. Le discours sur la concentration, la mutualisation, n'est pas historiquement crédible, et le risque évident est de passer d'un système balkanisé à un système hyper-concentré, sûr de son monopole, capable du pire.

Car la concentration n'est pas une nécessité, c'est une dangereuse facilité. Seul le schéma doit être unique, sans doute universel, mais une répartition transverse aux corporations, séparant les cycles, serait innovante et sécuriserait le système, particulièrement pour la gouvernance du "moteur" informatique !

Une Architecture des systèmes d’information flexible ou rigide

En traitant de ce sujet, nous ne voulions pas mettre en avant la question de l’architecture du SI de retraite. En effet, il faut d’abord être au clair des finalités, de la structuration autour des cycles fondateurs, de l’organisation prévue et souhaitable.

Tout ce dont nous avons traité est la matrice du futur système.

Réciproquement, en retour, le SI, indispensable au fonctionnement, peut-être soit contraignant, pérennisant des choix figés, soit stratégique pour, par sa flexibilité, autoriser l’adaptation aux évolutions et la résistance aux aléas.

L’Architecture Flexible apporte les outils pour une telle garantie (référentiels, puits d’événements, datation rigoureuse, …). Elle permet d’éviter le risque indiqué ci-dessus, qui découle fatalement d’une organisation concentrée et monopolistique. Elle permettrait d’organiser un SI en flux normés, ouvert et évolutif, en ligne avec la technologie actuelle (voir aussi sur ce site).

En posant ici les différents cycles et parcours, les bases solides et pérennes d’un tel système sont objectivées. On trouvera sur ce site et sur le blog de la Trame Business tous les éléments du puzzle permettant d’articuler les multiples systèmes, à faire converger et à créer, composant par composant.

Polygone des cycles de retraite

Polygone des retraites
Le schéma ci-dessus présente l'association, en un polygone, de l'ensemble des cycles des faces de la problématique de retraite que nous avons évoquée.

Chaque cycle comprend des événements, des parcours typiques que nous avons évoqués ci-dessus. La synergie et la cohérence entre les cycles met en oeuvre des "puits d'événements" qui les synchronisent et des "référentiels partagés". L'"Architecture Flexible" permet de rendre le système évolutif et de l'adapter aux différentes implémentations organisationnelles et techniques.