dimanche 20 octobre 2013

Voir loin et large



Une complexité superfétatoire


Notre civilisation "évoluée" se transforme tous les jours, sans que l'on sache réellement quel sera son aboutissement.

En effet, cette transformation est progressive, sans rupture apparente. Certes, quelques faits "historiques" nous bousculent (voir les secousses telluriques mentionnées dans le précédent message), mais sans remise en cause directe du quotidien.

Certes l'économie dicte ses lois et bouleverse les répartitions géopolitiques comme l'équilibre des marchés locaux. Ces mécanismes ne sont pas nouveaux, simplement les cadres changent, les règles et terrains de jeu se modifient.

Car, à tous les niveaux d'échelle, internationale, nationale, régionale, communauté locale, grande entreprise, PME, association, des actions volontaristes sont jugées nécessaires :
  • nouvelle réglementation,
  • réforme fiscale,
  • plan d'urbanisme de la cité,
  • dématérialisation, numérisation,
  • mise en place d'une gouvernance transverse,
  • reingénierie de processus,
  • reconception d'un système d'information,
  • ...

Toutes ces actions visent à mieux répondre à des exigences apparaissant "naturelles" et logiques dans leur contexte. Ces actions, rationnelles et objectives, s'ajoutant les unes aux autres, par petites touches successives. Elles modifient les modes de vie, les règles du jeu, le quotidien. Et finalement, conditionnent notre avenir. Qu'en sera-t-il à terme ?

La rectitude d'un temple grec ou le polymorphisme d'un cactus ?
Temple grec et cactus

En réalité, chaque vision qui préside à ces actions est déformée :

  • Fatalement, elle n'est que partielle et connait des limites par méconnaissance : empilement de réglementations opportunistes, stratification de codes informatiques contingents, comportements méconnus et pourtant réels, non conformités ignorées, subjectivités échappant au rationnel,...
  • Elle est conçue dans le carcan des organisations existantes, qui sont remises en cause dans leur finalité par les ruptures technologiques déstructurant l'espace et sa fragmentation en nations, cités, entreprises, domaines de maîtrise d'ouvrage, métier, etc.
  • Au fil du temps, toutes les actions de faible portée s'accumulent pour accroître la complexité du "patrimoine" des règlements, consignes, algorithmes et autres formalisations. Perfectionnements, parades à des anomalies, contribuent à terme à l'embolie générale, et ne sont efficaces que dans les intentions.
Chacun, à son échelle, constate ce défaut "systémique". La propension naturelle à l'égoïsme et au court termisme se vérifie à tous les niveaux de maille, dans l'entreprise, la collectivité, et la nation, le continent. On le comprend aisément par exemple au sujet du réchauffement climatique, qui nous concerne tous et résulte des comportements de tous.

Ainsi, l’empilement, l'accumulation d'actions rationnelles, logiques dans un contexte que l'on croit immuable, crée une situation ubuesque à terme, dont on n'arrive plus à comprendre les fondements.

En comparaison, l'image du développement d'une cité, avec son désordre visible, est bien plus tangible, rationnelle dans son pragmatisme, voir esthétique dans son fouillis inextricable.

Une ruelle de Palerme

Certes, le recours à une refonte, à une rupture volontaire impulsée par la collectivité, semble toujours possible. Mais qui aurait cette énergie ? La conscience collective nécessaire existe-t-elle (voir à ce sujet "transformation numérique et conscience des nations") ? Comment vaincre la résistance au changement, et l'adossement réflexe de tous sur toutes les formes de rente de situation ?

Avec la frénésie actuelle où la machine réglementaire s'emballe, ou les "mille-feuilles" de gouvernance s'empilent aussi bien dans l’entreprise que dans la nation, ou les commissions sont créées à foison, comment revenir à la simplicité ?

Finalement, la multiplication d'une complexité superfétatoire n'est-elle pas le luxe de notre civilisation ?

L'exemple de l'urbanisme des Systèmes d'Information


Le résultat de l'accumulation de systèmes est bien connu dans le domaine des systèmes d'information : c'est la rigidité induite, l’obsolescence d'un patrimoine de programmes de tous ages, irrémédiablement imbriqués, et dont la maintenance devient problématique, la redondance entre différents codes informatiques, la désorganisation de la gestion de données identiques. Et le discrédit que doit subir la profession, de la part des utilisateurs mécontents et du management impatient.

Il s'agit en réalité du même mal systémique, observé dans toutes les grandes organisations : les "maîtres d'ouvrage" donnent naturellement priorité à leurs besoins "locaux", spécifiques à leur activité (branche de l'entreprise, métier, ...).

Ainsi l'urbanisme des SI, qui a tant appris de la métaphore du vrai urbanisme, celui de nos cités, peut-il, en retour, nous éclairer sur cette problématique, que l'on rencontre à tous les degrés de l'échelle ?

Personnellement, j'en suis convaincu : les systèmes d'information font parti des investissements les plus lourds, avec des constructions intellectuelles qui rivalisent en complexité avec celles du monde réel. Ils posent donc des défis de maîtrise de la complexité, et, en corollaire de gouvernance pour optimiser les décisions et l'adéquation des systèmes.

Cartographie classique d'urbanisme des SI par POS
Un des outils favoris des urbanistes des SI est justement le "POS", alias plan d'occupation des sols, qui permet de rationaliser, progressivement, le territoire fonctionnel.



Pour aller plus loin dans cette logique de lutte contre l'embolie des systèmes, sur ce site, à maintes fois, un principe de représentation du monde a été expliqué, qui s'applique dans tous les domaines de la vie, et du fonctionnement des sociétés. Il trouve son origine dans la nécessité de représenter les situations complexes, dans un schéma global et pertinent, réducteur mais simplificateur. Ce thème a été développé dans de nombreux messages précédents.

Voir loin et large : focaliser le champ


Vision du géographe Ptolémée (Alexandrie 2 ième siècle apr. J.-C.) éditée au XIII siècle
Si nous revenons sur le travers "systémique" , il faudrait, même si cela ne serait pas suffisant, élargir la vision, "loin et large".

La vision du géographe Ptolémée, certes déformée, mais prémonitoire, datant du 2 ième siècle avant Jésus-Christ, s'est imposée 10 siècles plus tard, au point de donner lieu à de nombreuses éditions.


Dans un monde où tout s'accélère, il nous faut comprendre notre géographie, et l'essence même des transformations. En effet toute transformation peut se voir dans deux pas de temps :
  • au jour le jour, avec les actions et réactions opportunistes que nous avons décrites, et les travers de gouvernance sur des périmètres désuets et des enjeux conjoncturels,
  • dans la tendance de terme, en synchronisme avec le cycle lent de cette transformation.

Le sujet est dès lors de se décoller du local et du quotidien. Prendre un angle de vue plus global et prospectif.

Dans chaque cas il nous faut, pour cela, "focaliser" notre observation. En quelque sorte "régler le zoom"...

Les clés, et cela est illustré à de maintes occasions (voir aussi) sur ce site, sont de :

  • déterminer notre champ de vision, en quelque sorte régler l'angle optique :
    • en premier lieu focaliser notre champ sur un domaine d'observation : nous avons les exemples de champ très vastes, comme celui d'un pays entier, celui d'un écosystème, celui d'une entreprise...
    • il s'agit aussi de se donner une vision "systémique" en incluant dans le champ tous les événements qui sont en relations, avec la symbiose induite
  • structurer la vision en nettement identifiant, distinguant, dissociant, les différents cycles qui existent dans notre champ, depuis les plus "matériels" (logistique, industrie, transport...) aux multiples cycles immatériels (vie des produits, cycles technologiques, réglementaires, parcours dans un monde virtuel, production des services,...), depuis les cycles du présent jusqu'à ceux du futur.
Tel un géographe (voir "le géomètre ne fait pas la bataille"), par cette vision nous ne faisons que décrire le fond du plan, ses invariants, et ne portons aucune solution stratégique, politique, moraliste. Les prérogatives des diverses instances politiques, gouvernances ou management, compétents sur le champ examiné, demeurent.

Après tout, la lunette dite de Galilée n'a pas été inventée par Galilée... elle était utilisée pour voir de loin venir l'ennemi, lors des batailles. Galilée a eu l'idée de changer de champ et de l'utiliser, après perfectionnement, pour observer notre univers. L'exemple et la métaphore seraient probablement utiles dans de nombreux cas...




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