mercredi 13 février 2013

De la valeur


D’entrée de jeu, nous avons remarqué la difficulté de cerner le sens du mot valeur, et insisté sur l’importance, dans le cadre d’analyse des architectures de valeur, de la logique de transformation. En effet celle-ci est beaucoup plus objective que la « valeur » elle-même.

Il existe en effet des éléments objectifs et durables :

·         Les événements qui jalonnent l’évolution, moteur de la transformation : le parcours du passager, l’usure d’une machine, l’arrivée d’unités d’œuvre à traiter, l’occurrence d’un sinistre, l’émergence d’un besoin, la mise en application d’une réglementation, la diffusion d’une technologie, l’invention d’une molécule, l’incident de circulation,… Ces événements sont assemblés en cycles ou parcours.

·         Les produits, services, fonctions automatisées qui contribuent à la réponse à ces événements, et objectivent la transformation. On notera à ce sujet que l’objet ou l’entité, voire le concept, transformés sont de toute nature, selon les azimuts des chaînes de valeur. Par exemple un client dont on satisfait le besoin, un étudiant qui reçoit une formation, un passager transporté, …en sont « transformés » ! De même des équipements assemblés en un véhicule le sont,… Ou une loi qui de projet devient, après amendements, loi votée, l’est aussi.

·         Nous avons vu que ces transformations, dans un univers de valeur, étaient réalisées par segments, « maillons » de la chaîne, qui sont les différents services ou produits intermédiaires associés pour délivrer le produit ou le service final. Cette association peut prendre la forme d’un flux à étapes successives, mais elle est aussi de plus en plus synchrone, en particulier avec l’aide de la technologie qui autorise toujours plus d’immédiateté (par des « architectures de services » synchrones). L’ingénierie de la chaîne de valeur fait apparaître ces maillons  et l’architecture qui les relie. Elle explicite un autre élément objectif fondamental est à prendre en compte : le contrat de transaction entre ces différents maillons de la chaîne de valeur. Ce sera par exemple le contrat avec un sous-traitant, avec un centre de services partagé, etc… Les indicateurs qualité, les KPI, pourront ainsi être propagés tout le long de la chaîne de valeur.

A l’opposé, concernant la valeur, au sens quasi monétaire du terme, la variabilité est forte car la valeur résulte d’un équilibre, qui peut à tout moment changer.

 La « mécanique » que nous avons décrite est mise en œuvre lors des échanges : c’est alors qu’apparaît la valeur, comme nous l’enseigne clairement Bastiat (De la valeur). La formation de la valeur est modélisée par la micro-économie, qui explique la confrontation de l’offre et de la demande, les notions d’utilité (le point de vue de l’acheteur), de fonction de production, etc…

Lors du biorythme nominal de l’échange, celui des cycles et parcours, il existe des paramètres de marché qui déterminent cet équilibre, et le prix de la transaction unitaire induit. Mais à une autre échelle et dans un pas de temps différent, des évolutions majeures peuvent se produire dans l’environnement commercial, technologique, réglementaire… et impacter les termes de l’échange, rendant les produits ou services démodés, obsolètes, inadaptés, déclassés, … alors que de nouveaux besoins, de nouvelles exigences émergent. La fonction de production peut aussi être modifiée par les coûts d’achat, les frais de main d’œuvre, le cours des matières premières, dans un contexte de concurrence élargie. Ces évolutions changent l’équilibre de l’échange, et le prix pratiqué : même si toute la mécanique de la chaîne de valeur est en état de marche, la transformation est progressivement remise en cause. Il en ira de même pour les services non marchand, qui, bien que n’ayant pas de prix direct, ont un prix indirect de par impôts, subventions, cotisations, voire investissement personnel de bénévoles…

Ces mouvements généraux, mouvements de marché (mondialisation, désindustrialisation, montée en puissance des services, réglementation et déréglementation, financiarisation, numérisation, …), sont généralement constatés. Ce sont des faits. Le défi pour les Entreprises et Organisations est bien sûr de maintenir un cap et d’évoluer pour garder sa place, éventuellement conquérir de nouvelles places. Ces mouvements de fond sont autant des opportunités que des menaces. Par exemple les barrières à l’entrée sur un nouveau marché sont en général faibles, puis deviennent trop importantes pour un nouvel entrant à faible assiette financière. De même les barrières à la sortie peuvent être décourageantes. En outre, au point où en est notre civilisation, l’économie de l’information, et son rendement d’échelle caractéristique, exacerbent la récompense, ou la punition !

Ce sont là évidences, qu’il faut dépasser pour mettre en pratique.

Face à ces bouleversements, quels chemins peut prendre l’Entreprise ou l’Organisation ?

La question posée a, pour partie, une réponse simple : le terrain des affrontements est connu, il est décrit en grandes mailles par la cartographie de l’architecture de valeur. Le stratège qui mène ses troupes a donc à sa disposition la carte du champ de bataille, objective, neutre, non valorisée. Il connait ses positions. Il lui faut prévoir les évolutions contextuelles dont nous avons parlé.

Le repérage logique et objectif obtenu grâce à l’architecture de valeur est alors précieux, car il offre un cadre d’analyse pour :

·         anticiper les évolutions de structure : apparition de nouveaux univers fondés sur des cycles qui émergent, comme par exemple le monde du collaboratif 2.0, des produits innovants, la connaissance plus intime d’événements jusqu’à présent cachés,…

·         objectiver, à structure de chaîne de valeur identique, les changements de paramètres revenu, coût, impact sociétal,…), et visualiser la déformation des territoires, par exemple par des cartes en anamorphose (voir ci contre la carte de la France déformée par les performances du TGV).

Ce damier d’analyse confortera les approches classiques qui pourront nourrir la réflexion, quantifier les potentiels de marché sur chacun des territoires identifiés, imaginer la « capture de valeur », et les « océans bleus ». Puis il faudra se mettre en mouvement.

Les questions sont multiples : Quel « détour productif » faire ? Pour quelle cible ? Sur la base de quelles technologies ? A quelle échéance ? Avec quels investissements ?

Car les chemins pour conserver, capter, découvrir … de la valeur, peuvent aller en toute direction, dans tous les azimuts de la chaîne de valeur. Une réponse « passe partout » est de préconiser l’agilité. Mais, si on est agile, sait-on pour autant quelle « guerre éclair » mener ? Quelle manœuvre d’anticipation engager si l’on n’a pas à la base la cartographie des territoires des chaînes de valeur, d’aujourd’hui et de demain ?

Ici se termine le plaidoyer pour la cartographie des chaînes de valeur. Nous reprendrons ce sujet sous l’angle des types de mouvements envisageables, pour atteindre des océans que chaque grand manœuvrier voudrait les plus « bleus » possibles.

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