vendredi 29 mars 2013

Transformation numérique et conscience des Nations



Un précédent message, sur la « capture numérique », a mis en évidence le rôle et le financement des services publics du numérique : moteurs de recherche, réseaux sociaux, cartographies, chaînes video, sites de partage, …

On a constaté :
  • Que ces services étaient effectivement, sur certains aspects, des « services publics » au même titre par exemple que ceux fournis par un Ministère et des Collectivités locales (il y a quelques années, si un projet de type « Street View » avait pu être mené dans notre doux pays, il aurait été conduit par le Ministère de l’Equipement, les Conseils généraux et Communes),
  • Que, comme les « vrais » services publics, ces services étaient gratuits, en particulier pour le grand public,
  • Que leur financement était réalisé par les entreprises, seules en mesure de payer la publicité, publicité nécessaire à leur visibilité, et, à terme, à leur survie.

On constate aussi très facilement que, dans le « panier » de services publics offert aux citoyens, il y a un « transfert » progressif des services publics classiques, « matériels », vers les services publics numériques, « immatériels ».
En effet, la « transformation numérique » de la société consiste de fait à augmenter la consommation de services du « net » (recherches, accès à des sites, e-commerce, réseaux sociaux, m-marketing,…) et des services publics sous-jacents (transport réseau, moteurs, micro-blogging, …). Pour le citoyen, cela se traduit par moins de déplacements, c’est-à-dire moins de sollicitation des réseaux physiques payés par l’impôt et la TIPP, et beaucoup moins de recours aux infrastructures physiques (bâtiments administratifs, magasins, équipements de mobilité), et aux impôts correspondants (impôts locaux, impôts sur les sociétés, TVA).

Ce transfert de services est dans la nature même de la transformation numérique. Inutile d’épiloguer là-dessus. Simplement, c’est un fait incontournable qui accompagne la globalisation provoquée par la rupture technologique.

De même pour le transfert de charges, de l’impôt, levé dans un périmètre physique (assiettes empilées : communs, département, région, nation, Europe), vers les entreprises, par le truchement de la publicité, est un fait global et mondial. D’autres formules seraient possibles, mais un accord politique global ne verra jamais le jour dans des délais raisonnables, compatibles avec la vitesse « explosive » de la transformation numérique actuelle.

Ceci n’est que l’illustration d’un phénomène plus général, impactant toutes les activités, marchandes ou non, publiques ou privées, de transfert vers des services numériques, et qui provoque d’ailleurs la « rétractation de la matière fiscale » dénoncée par le rapport Collin et Colin.

***
Ce raisonnement simple pose la question des périmètres :
  • Les services publics traditionnels sont localisés sur un périmètre physique, depuis toujours, avec les premières civilisations, les féodalités, est c’est dans leur nature « régalienne »,
  • Les services publics du net sont « illocalisés », c’est-à-dire que, par nature, ils sont présents en tout point du globe dès lors qu’il y a, en ce point, fut-il un grain de sable, un accès réseau. Inutile donc d’imaginer de les localiser ou relocaliser, cela n’a aucun sens.


Nous disposons d’un outil pour avancer l’explication : le concept de chaîne de valeur, à maintes occasions développé sur ce site.

Prenons un exemple concret : celui du réseau social LinkedIn. Cette entreprise, pour réussir, et elle le fait (croissance de 86 % de 2011 à 2012), doit :
  • développer des services à base de logiciel (elle a un cycle de projets IT,…),
  • élaborer des offres payantes (avec un cycle d’offres ciblées)
  • vendre dans différents pays (elle a donc des filiales commerciales),
  • produire les services gratuits et payants, sur la base d’une « production informatique » et de l’assistance comme tout opérateur de ce type,
  • gérer du personnel, éventuellement sous-traiter,
  • rendre des comptes aux actionnaires, aux Etats.

Le schéma ci-dessous synthétise ces cycles :

Les cycles du business de LinkedIn

 Tous ces 6 cycles induisent, pour chacun en ce qui le concerne, une chaîne de valeur.

Le fait qu’un service ne soit pas valorisé (il est gratuit) ne signifie pas qu’il n’y ait pas de chaîne de valeur pour le produire.  Simplement il est financé par ailleurs… comme le sont les services publics « matériels ».

Chaque chaîne de valeur, répond à une logique bien identifiée, qui lui est propre, et doit être implantée, au niveau de l’échiquier mondial pour répondre au mieux à ses enjeux (définir les meilleurs produits, développer le meilleur code, produire les meilleurs services, centraliser les compétences critiques en finances, juridiques, en GRH,…).

Ces implantations sont dé-corrélées les unes des autres, car les six cycles et logiques le sont : la recherche de l’excellence se fait d’abord selon ce clivage entre les six différentes composantes du business citées. Plusieurs paramètres entrent en ligne de compte pour ces optimisations « mécaniques », par exemple :

  • on ne peut pas implanter des hot-lines n’importe où, il faut une proximité culturelle,
  • la professionnalisation de la production informatique incite à la concentrer, comme dans le cas du Cloud,
  • on cherchera à implanter le centre de recherche et développement sur un territoire bénéficiant d'un milieu "high tech" (Silicon Valley).
Ce sont d’abord, avant toute valorisation, des chaînes de transformation qu’il faut « industrialiser », chacune, selon une échelle de savoir-faire mondiale.


Remarquons que le succès est d'abord celui d'un « business model », qui existe, montre son efficacité et transcende LinkedIn (des concurrents sont aux aguets pour prendre cette place…voir le message "les réseaux sociaux s'orientent Entreprise"). Sur les bases de la répartition mondiale des chaînes de valeur productives, l’entreprise, en toute logique, procède à une optimisation financière :
  • Où implanter le ou les centres de développement IT, la R&D, les laboratoires ?
  • Où implanter les centres de domiciliation juridique et comptable ?
  • Quelle structure commerciale face aux entreprises et annonceurs ?
  • Quelle structure d’assistance face aux marchés locaux ?
Il est clair que l’échiquier des nations, et de leurs offres fiscales, sociales, réglementaires, entre en ligne de compte, et cela n’est aucunement une question de morale : la règle est donnée par le concert des nations, ou plutôt leur absence d’accord et d’harmonisation face à des terrains de jeu globalisés. En l’occurrence LinkedIn, pour un client français, fournit une facture émise sur la base d’un territoire Irlandais, avec une TVA à 23 %... En l’occurrence LinkedIn est un employeur global, comme le montre ses offres d’emploi sur son propre site :


Annonces chez LinkedIn
Strategic Solutions Consultant - Recruitment Media
Paris, France
Sales Account Manager
Paris, France
Partner Account Planner
Paris, France
Recruitment Product Consultant - West
Mountain View, CA
Campaign Planner
Chicago, IL
Solutions Senior Manager, Americas
Mountain View, CA
Technical Product Consultant / Technical Project Manager
New York, NY
Senior Strategic Sourcing Specialist
Sunnyvale, CA
Global Sales Compensation Analyst
Sunnyvale, CA
Business Operations - GSO - EMEA, Associate/Sr Associate
Dublin, Ireland



Il y a une répartition des compétences globale, avec un schéma qui peut être reconstitué ci-dessous :



et un lieu clé ...
La "Silicon Valley"
Ceci indique clairement que les choix globaux réalisés sont induits par la compétivité entre les nations. La transformation numérique, évolution inéluctable, explosive à l’échelle historique, rebat les cartes. Certes les experts en sont conscients (mais ils raisonnent souvent sur le périmètre des nations, et leurs commanditaires sont collés à ce périmètre).
Qu’en est-il, au-delà des cercles d’initiés ? Connait-on quelques grandeurs, images de la décadence des nations :


Quelques chiffres

La transformation numérique se fait-elle sans la conscience des nations ?
L'explosion numérique signera-t-elle la décadence des nations ?



2 commentaires:

  1. Bonjour René,

    merci pour ce texte.
    Effectivement, pour éclairer la gestion des entreprises, il peut être intéressant d'examiner la gestion des nations... et vice-versa.

    C'est une voie que Michaël Porter a d'ailleurs exploré (L'Avantage concurrentiel, InterEditions, 1986, L'Avantage concurrentiel des nations, Dunod, 1993, source : wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Michael_Porter).

    Dans cette perspective épistémologique, on pourra réfléchir à la portée de la notion de régime [de gouvernance] (Ang : [governance] regime) dans le domaine de la gouvernance des systèmes d'information, que Cobit 5 met en scène sous la désignation de "governance framework" (Process EDM01).

    Pour des compléments, le billet : la notion de régime dans Cobit 5.
    http://mutation-moa-moe.blogspot.fr/2013/03/regime-informatique-cobit-5.html

    Cordialement
    Tru Dô-Khac

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